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Il ne nous reste que la violence.

Il est deux heure et demi du matin et j'arrive pas à dormir. Les mots tourbillonnent, se bousculent, résonnent dans ma tête. Je dois les laisser sortir, sinon je vais exploser. Je me suis levée, j'ai pris mon PC. J'ai essayé de pas déranger l'homme qui dort à côté de moi depuis quatre ans, cet homme avec qui je me sens tellement en confiance d'habitude, mais que ce soir je ne peux pas voir autrement que du côté de ceux qui m'ont oppressée, trahie, et détruite toutes ces années, quand bien même il ne m'a jamais donné aucune raison de douter de lui et a été d'un soutien incroyable depuis que toute cette merde a commencé.Et je suis là, les yeux engourdie par la fatigue, parmi les cartons du déménagement qui s'entassent, les tripes tordues par la douleur, la colère et la haine, à repenser à tout ce qu'il s'est passé ces derniers jours.


J'ai pas envie de parler du live qui a provoqué ma colère, qui fait que je suis à poil dans mon salon à écrire au lieu de dormir. Vous savez, je sais, on sait. J'ai pas envie de parler de cette petite merde pathétique qui ricane en coin en pensant au chemin de gloire qu'il trace dans le sang et les larmes des victimes. J'ai envie de parler de tous les autres. De ceux qui sont comme lui mais qui n'ont pas une audience de 400 personnes pour les applaudir dès qu'ils ouvrent leur gueule (quoique...).


Parce que c'est pas nouveau tout ça et on le sait depuis #MeToo, on le sait depuis la première fois qu'une femme a été virulente envers un homme qui a abusé d'elle : faut pas être violente. Y'a d'autres moyens de se faire entendre, d'autres moyens d'obtenir justice. Et puis tout ça c'est un peu une chasse aux sorcières. On n'a pas à faire le travail de la police. Ni à reproduire ses méthodes d'ailleurs parce qu'on est de gauche. Y'a pas déjà assez de violence dans le monde ? Faut pas en rajouter une couche. C'est trop violent tout ça.


Sauf que non la vérité c'est pas ça. La vérité c'est que pendant des années on a été douces, gentilles et compréhensives avec nos agresseurs. On leur a cherché des excuses, on leur a pardonné. On s'est tues pour ne pas les démolir auprès de leurs potes ou parce qu'on avait peur. Ils étaient si bien entouré et si gentils. Alors on se refilait les noms, sous le manteau. On savait qui il fallait éviter en soirée, tu sais il a les mains baladeuses, mais bon après tout il a une place importante dans la communauté et puis tout le monde le trouve sympa alors ça doit être un peu de ma faute quand même. De temps en temps on en parlait, sur le forum, à la modération, et puis ça nous disait que ça allait mener l'enquête, et au final rien. Ils restaient en place sans savoir, ou en faisant semblant de ne pas savoir. Si jamais ils étaient destitués de leurs postes, ça se faisait en silence, sans aucun communiqué pour prévenir de leur dangerosité. Et nous on continuait à être gentilles et empathiques parce que bon ça sert à rien de lancer des vagues de harcèlement ça reste des humains et on veut pas qu'ils soient démolis on veut régler ça à l'amiable.


Quand le forum a disparu, on est passées à autre chose, pendant quelques années. On a tassé et enfoui nos ressentiments au fond de nous en gardant à l'esprit que c'était dans notre tête, qu'on se faisait des films. Que de toute façon, c'était fini maintenant, donc à quoi bon ? Et chacune est partie mener sa petite vie anonyme en enfouissant rancoeur et trauma bien au fond d'elle-même pendant qu'eux se gargarisaient de leur impunité et obtenaient des postes importants dans les sphères censées nous défendre.


Sauf que les femmes parlent entre elles, et tout se sait. Et si il y a une chose que #MeToo aurait dû vous apprendre, messieurs, c'est que tout ressort un jour ou l'autre. Ça commence toujours comme ça, au détour d'une conversation légère et rigolote. « Aha tu te rappelles quand même de tous ces mecs sur l'Originale qui étaient des porcs mdr, on s'est bien fait avoir à l'époque ». Et puis une autre femme répond qu'elle aussi elle a été touchée, agressée, harcelée sexuellement, prédatée (rayez les mentions inutiles). Et ça devient de moins en moins léger et rigolo. Et on se rend compte de leur impunité. Et puis une voix s'élève au dessus de la foule et gueule. Et nous on suit. Parce qu'on se rend compte que la gentillesse, la douceur et l'empathie ne nous ont mené nulle part. Alors il ne nous reste que ça. Il ne nous reste que la violence. On joint nos voix à la sienne et on gueule, fort, violemment, sans prendre de pincettes. Ouais, on est dans le jugement, non, on est pas dans la sacro sainte rationalité objective à laquelle appellent toujours les hommes quand il s'agit de faire taire les femmes. Mais force est de constater que ça marche. Parce que maintenant on est écoutées et on nous propose réparation. Maintenant c'est plus possible de faire semblant que non, on savait pas.


Oui, on occupe la place et on l'occupe avec violence. Et encore. Estimez vous heureux qu'on n'utilise que nos mots. C'est pas l'envie qui manque d'utiliser nos poings. Non, on n'est pas dans la communication non violente, le positivisme à la con, la bienveillance courtoise parce que ça marche pas. On passe pour les méchantes face à vous qui soit vous terrez comme des lapins en claquant des fesses parce que votre impunité est compromise, soit venez chialer que vous vous êtes un gentil allié, que vous saviez pas (ce qui est faux, disons le), que vous êtes désolé. Mais tant pis. Ce que vous comprenez pas c'est qu'on est plus seules maintenant, qu'on a plus besoin de votre avis et qu'on s'en tamponne que vous alliez pas bien. On est unies, on fait bloc, on est ensemble et vous ne pourrez pas détruire ça en jouant la carte de la pauvre petite chose fragile prisonnière de sa condition d'homme, qui essaye malgré tout de construire une masculinité non toxique. Parce que maintenant on sait. On sait que ceux d'entre vous qui n'étiez pas des abuseurs protégeaient leurs potes. Vous faites tous partie du problème. Pas seulement en tant que classe, en tant qu'individus. Vous êtes tous complices. Chacun à votre manière. Et on ne prendra plus de gants avec vous.


Maintenant on est ensemble et on gueule et on réclame justice. On crache nos tripes, nos larmes, notre sang, notre bile. Toutes nos émotions, tous nos traumas, on les dégueule sur la place publique, et tant pis pour vous si ça vous écoeure. Vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous même. Vous nous avez dépossédé de notre empathie pour vous. Vous nous avez enlevé la joie, la bienveillance, la gentillesse et l'écoute.


Il ne nous reste que la violence.




















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